samedi 30 janvier 2016

Le feu de Jeanne de Marta MORAZZONI

Le feu de Jeanne de Marta Morazzoni aux éditions Actes Sud, 18,50 euros.


Voici le mythe de Jeanne d’Arc, cette fois vu par une italienne qui court de Chinon à Domrémy, d’Orléans à Chartres, de Reims à Paris pour finir  à Rouen, évidemment
Certes, avec un énoncé pareil qui fait un peu désordre, on oublierait le grand souci de compréhension auquel s'est attachée Marta Morazzoni dans cette reconstitution de la vie de sainte Jeanne à partir des lieux qu’elle a traversés et que l'auteur s’est mise en tête d’arpenter. 
Et voilà qu'en lisant, nous ressentons, captons, traquons cette part de l’histoire de France, pays qu’au passage et que par petites touches Marta Morazzoni nous restitue de son point de vue italien et contemporain.

Ce fut déjà tout le charme de son livre précédent, La note secrète qui reprenait sous une forme romanesque un fait divers du XVIIIème siècle du point de vue du XXIème. 
Marta Morazzoni intègre dans ses récits une  notion subjective qui se caractérise cette fois dans Le feu de Jeanne par un accès direct à la vie de l’écrivain.  Ainsi, d'un même élan, Jeanne et Marta se confondent, se regardent et se révèlent sous des airs familiers à mesure que l'on progresse dans ce faux roman aux allures de voyage à l’intérieur d’un pays et de son histoire.

Toujours est-il que Jeanne d’Arc, quelles que soient ses origines, son action, sa destinée, incite au voyage    de celle et ceux (l'auteur et nous même) qui se consacrent à mieux la connaître. 
En Lorraine, par exemple, Marta Morazzoni dort dans un château faisant chambre d’hôte. Son propriétaire qu'elle ne rencontre qu'au matin, l'entretient -avec un sens aigu de l'ellipse- du mystère du passage de Jeanne en ces lieux à la fin de sa vie... Et voilà la porte qui s'ouvre sur la mort de  Jeanne. Fut-elle vraiment brûlée ? 
Cette version dite hérétique circule toujours notamment sur cette mort qui n'aurait pas eu lieu à Rouen, un échange aurait eu lieu in extremis entre Jeanne et une autre condamnée et aurait permis cette retraite anonyme de "l’héroïne" en Lorraine. 

Si Marta Morazzoni s'interroge sur ces nombreuses faces plutôt obscures de la vie de Jeanne, c'est toujours avec intelligence et subtilité. Et un certain trouble s'installe lorsqu'elle se confronte à ce qui pourrait représenter l’essence même de l’identité française lors de sa visite de lieux aussi sacrés que les cathédrales de Saint-Denis ou Reims.   

Marta Morazzoni cite à de nombreuses reprises ceux qui l'ont guidé, Georges Duby, Jacques Le Goff et surtout Régine Pernoud qui a sans doute soutenu le mieux l'approche intimidante de la vie d’une femme qui symbolise pour certains encore la France. 

Cependant, par la grâce d’un exotisme heureux, Le feu de Jeanne parvient à créer une distance qui dédramatise ce sujet assez lourd pour un non historien et, à maintes reprises, se loge un humour propre au regard d'une étrangère sur notre histoire. Ce regard-là qui ne se veut nullement une refonte du mythe, demeure néanmoins précieux pour la bonne et simple raison qu'il est rare et parfaitement ajusté.         

L'homme qui marche de Franck MAUBERT

L'homme qui marche de Franck MAUBERT aux éditions Fayard, 17 euros.

Alberto Giacometti (1901-1966), fut un homme discret, à l'image de la Suisse, son pays, où il décela, enfant, sa passion pour l'art.

Ne préféra-t-il pas acquérir à l'âge de 14 ans une monographie de Rodin et se priver ainsi d'un voyage en train qui lui aurait épargné une marche de 16 kilomètres dans la neige ?

Si L'Homme qui marche résume aujourd'hui beaucoup trop (hélas?) l’œuvre de Giacometti, il a fallu au sculpteur interroger différentes époques artistiques, sinon toutes, pour en garder des influences que l'on jugera, à la lecture du livre de Franck Maubert, insoupçonnables.

Pour sa part, Franck Maubert s'est penché sur les archives de la fondation Giacometti à Paris, ses recherches résultent d'une admiration profonde pour l’œuvre comme le prouve l'épisode très personnel qu'il nous relate en introduction, à la fois surprenant et décisif.

Cet éclairage sur l’œuvre est d'abord une réflexion sur le sens profond d'une vie d'artiste.
En effet, Giacometti fut un inlassable travailleur, un insatisfait chronique guidé par une soif d'absolu.

Franck Maubert nous fait ainsi pénétrer dans l'atelier de l'artiste, il nous livre des détails passionnants sur ses compositions, sur sa technique et nous expose les motifs d'inspiration qui ont amené le sculpteur vers L'Homme qui marche, l'oeuvre sculptée la plus chère au monde...

Franck Maubert que nous avions invité à l'automne pour son roman Les uns contre les autres, nous avait annoncé ce livre sur Giacometti. 
Les lycéens d'Arcachon en présence de leur professeur d'arts plastiques recevront l'auteur jeudi 4 février. 

Nous vous ferons état de cette rencontre mais le vendredi  5 février, la Librairie Générale vous invite au Patio Plaisance (6 rue Lanine) à vous entretenir à votre tour avec Franck Maubert qui se fera une joie de vous parler d'Alberto Giacometti.

Et nous serons curieux aussi, de lire plus tard la nouvelle qu'il nous consacrera après son passage à Arcachon puisqu'il est, dans le même temps, en résidence toute la semaine prochaine à l'hôtel Ville d'Hiver.

Si tu ne veux pas aller au lit surtout, ne bâille pas!

Si tu ne veux pas aller au lit surtout, ne bâille pas! d'Hélène Boudreau et Serge Bloch, éditions Circonflexe, 13 euros
Alors surtout ne ratez pas ce livre, voici le remède miracle pour expédier les enfants au lit et disons-le tout de suite, les parents ne tarderont pas non plus à rejoindre les bras de Morphée! L'idée géniale d'Hélène Boudreau et de Serge Bloch (illustre illustrateur, rappelons-le, de la très célèbre série des Max et Lili), c'est de prendre avec humour le contre-pied de toute histoire classique qui suit le rituel du coucher: ici interdiction donc de bâiller sinon immanquablement il faudra s'étirer, arrêter toute activité, aller mettre son pyjama, lire une histoire, avoir son calin "bisous - bonne nuit" et hop fini, plié, terminé, plus le choix il n'y a plus qu'à.... dormir! Pour éviter d'en arriver là, rien de plus simple: éviter toute berceuse, fuir tout animal en peluche, etc. Mais cet album a ceci de magique (et vous pouvez en croire la rédactrice de cet article!): il suffit de lire une histoire sur le bâillement et interdiction ou pas, l'enfant dormira bien vite, les parents dormiront bientôt.

samedi 23 janvier 2016

Brigitta d'Adalbert STIFTER

Brigitta d'Adalbert STIFTER aux éditions Cambourakis, 9 euros.

Voici un conte hongrois écrit par Adalbert Stifter (1805-1868) qui s'imprègne d'un paysage comme l'auteur les a toujours aimé, emplis de mystères.
Les trois personnages principaux qui vont y évoluer, ont la noblesse du cœur et de l'esprit qui est aussi une marque propre à notre auteur.
On peut, à la lecture de Brigitta, penser aux Braises de Sandor Marai (1900-1989), véritable hongrois tandis que Stifter arborait, lui, la nationalité autrichienne.
Landes, forêts et champs, donc, étirés sur de vastes étendues que l'on parcourt à cheval, des jours entiers, d'une ferme à l'autre et que de grands chiens à poils longs protègent.
L'homme qui nous introduit ici est un visiteur saisi par ce décor, arrive d'Allemagne, ses vallons et ses plaines. Ici l'horizon est plat.
Un ami, rencontré à plusieurs reprises dans les différents palais des grandes villes européennes de l'époque (Italie, Autriche...), l'a incité à s'installer chez lui pour un long séjour qu'il va régulièrement reconduire. L'ami en question lui a généreusement proposé le gîte, nous sommes au XIX siècle, l'esprit de la Mitteleuropa si cher à Stéphan Zweig (1881-1942), veille encore...

Le souffleur de rêves

Le souffleur de rêves de Bernard Villiot et Thibault Prugne, éditions Gautier Languereau, 14.95 euros
Au nord de Venise, sur l'île de Murano, vivait un jeune orphelin qui rêvait de devenir souffleur de verre. Apprenti chez le plus célèbre d'entre eux, il s'occupait chaque jour, à l'aube, d'allumer les fours. Mais la nuit, dans le plus grand secret, il apprenait seul à se servir d'une canne à vent. Et bientôt son souffle devint très précis et très délicat. Une nuit, il fit la connaissance d'un enfant qui n'avait ni lit ni logis et l'invita à se réchauffer en cachette dans l'atelier. Pour le réconforter, il prit un pain de verre et souffla... une bulle de rêve...
Un très bel album, pour les 6 ans et plus, où l'illustration enchante autant que l'histoire émerveille!

Question de mode!

L'histoire animée des vêtements d'Anne-Sophie Baumann et Princesse Camcam, éditions Tourbillon, 17.99 euros, à partir de 6 ans:
De la préhistoire à nos jours les enfants sauront tout sur le vêtement avec cet album documentaire aux pages cartonnées et aux multiples flaps à soulever! Fait de façon ludique chaque page est dédiée à une époque: de la cotte de maille au pantalon à patte d'éléphant en passant par le bas-de-chausses du XVIème siècle et la redingote du XIXème siècle, tout est là, y compris les principaux métiers qui ont fait la mode: plumassière, dentellière, chapelier, couturière...! 

 Les costumes du monde expliqués aux enfants de Sandrine Couprie-Verspieren et Yann Le Bec, éditions de La Martinière Jeunesse, 16 euros, à partir de 7 ans:
Robes de princesse, tenues officielles des empereurs et des tsars, mais aussi uniformes les plus farfelus, perruques et coiffures. Au fil des pages de ce documentaire, les costumes les plus étonnants et les plus admirés défilent. Conçu en chapitres thématiques, vous retrouverez ici courtisans et favoris, hauts magistrats, académiciens, cardinaux, lutteurs... voilà de quoi ne plus confondre un chevalier de l'ordre des hospitaliers avec un chevalier de l'ordre teutonique!

samedi 16 janvier 2016

La couronne d'Annelise Heurtier et d'Andrea Alemanno

La couronne d'Annelise Heurtier et Andrea Alemanno, editions Alice jeunesse, 12 euros ( à partir de 5 ans):
Comment faire de sa différence une force, voilà le sujet de cet album qui allie de façon très pertinente l'illustration au texte qui avec peu de mots donne une réelle justesse à l'émotion.
Lou est comme toutes les petites filles: passionnée par la danse, elle rêve bien sûr de participer au spectacle de l'école. Malheureusement c'est sans compter les moqueries de ses petites camarades qui la rejettent méchamment simplement parce que la couleur de ses cheveux est d'un roux flamboyant. Lou est effondrée, s'isole dans la salle de bain et face au miroir coupe une à une ses belles mèches qui ondulent. Ses parents, stupéfaits en la voyant, ne disent un mot. Mais en assistant ensuite avec son père au Ballet russe qui se danse à l'Opéra, elle vit alors la plus belle des danseuses étoiles qui lui fit comprendre la force de sa différence.


Le chat andalou d'Eugen RUGE

Le chat andalou d'Eugen RUGE aux éditions Les escales, 16.90 euros

Un homme d’origine allemande arrive par le bus à Capo del Gato, village andalou qu’il s’est choisi pour y passer l’hiver. Les raisons qui l’ont amené là sont évasives, vient-il écrire ? Oublier quelqu’un ? Passer un hiver clément ? 

L’homme se met en quête d’un mode vie différent, contemplatif et monacal qu’il ritualise à partir de son installation dans une petite chambre louée qui l’incite au dénuement.  
Chaque jour, son premier geste est de s’asseoir sur le banc sis contre le mur de son baraquement et assiste là au lever du soleil qui s’élance au-dessus des montagnes car à Capo del Gato le ciel est toujours bleu et de là on peut observer les décalages de cette ascension dus aux éphémérides. 
L’homme calcule qu’il peut rester à Capo del Gato plusieurs mois au régime d’une demi-pension qu’il a patiemment négociée avec sa loueuse.

De la patience, voilà ce qui lui est nécessaire dans ses relations avec les villageois dont la vie lui parait ralentie et même monotone. 
Avec la fille de la loueuse qui vient poser avec sa démarche lourde, l’assiette de son déjeuner, il constate que celle-ci s’arrange pour lui tourner le dos, au plus vite. Il ne connait donc essentiellement d’elle que la vue de son postérieur qui est considérable, comparable à deux courges plutôt impressionnantes. 


Le cafetier non plus n’incite guère à une plus ample conversation, sitôt passé son salut un peu sec,  il retourne à son silence puis, au grand agacement de notre homme, s'obstine à poser un sucre et par conséquent une cuillère pour le café alors que l'homme lui dit à chaque fois qu'il ne met pas de sucre dans son café. La victoire ne viendra qu’au bout de plusieurs semaines. 


Enfin, les pêcheurs pour lequel l’homme avait une vive curiosité car ils ont la particularité de remonter leur bateau sur la plage d’une manière ancestrale, n’ont qu’une sempiternelle et unique lamentation : « Beaucoup de travail et pas beaucoup de poissons ». 


Cet homme qui est venu, on s'en rend compte, se ressourcer, est, tout compte fait, troublé par trois visites successives qui vont décider du sens exact de son voyage : un anglais, un américain et un chat, trois rencontres déterminantes par ordre d’importance...

Eugen Ruge a sans nul doute vécu à Capo del Gato, son récit emprunt de réflexions, de constations et de descriptions remarquables offre à cette lente et belle immersion dans ce lieu étrange d’Andalousie un livre puissant écrit à l’aune d’un prestigieux prédécesseur, Nicolas Bouvier qui ouvrit en son temps la voie  aux écrivains voyageurs.

samedi 9 janvier 2016

Fable d'amour d'Antonio MORESCO


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Fable d'amour d'Antonio MORESCO aux éditions Verdier, 14euros

Si la fable n'a plus vraiment cours aujourd'hui (nos écrivains étant bien trop ancrés dans un excès de réel), Antonio Moresco, avec son air quelque peu lunaire et un brin désabusé, nous indique qu'au moment de poursuivre une entreprise romanesque d'une plus grande ampleur, il s'est accordé une pause et a écrit cette fable avec une pleine conscience  de la dureté des temps présents et de la nocivité urbaine. 

Fable d'amour commence en effet dans les bas-fonds de notre société où un "vieux fou", silencieux et résolu, vit couché sur des cartons en se nourrissant de résidus au cœur d'une grande ville.
Or, une "fille prodigieuse", jeune et belle, emmène un soir le vieil homme chez lui, le lave, le loge et fait l'amour avec lui...

Antonio Moresco use de la forme répétitive comme s'il écrivait devant nous une œuvre musicale qui s'enrichirait de thèmes crescendo. 
Cette technique littéraire très subtile compose en un suspense lyrique l'intrigue de Fable d'amour à l'image d'un feu dont l'auteur attise les braises au moment où on le croit prêt à mourir.

La mort, d'ailleurs, est un élément moteur de ce récit fabuleux, elle sert admirablement le renversement de situation qui s'opère au milieu du livre et tend ainsi à la perfection la symétrie du texte. 
Sous ses apparences discrètes, Antonio Moresco nous touche profondément et convainc ses lecteurs, nouveaux ou anciens, de la maîtrise et de la virtuosité qui l'animent.

Fable d'amour est  une superbe entame pour aborder avec espoir notre nouvelle année.


Où naissent les rêves? de Palina et Alice de Page

Où naissent les rêves? de Palina et Alice de Page, éditions Gautier Languereau, 9.90 euros, pour les 3/6 ans
Où naissent les rêves? demande l'enfant un beau jour, voilà une question qui aurait pu justement en laisser plus d'un songeur mais, dans ce bel album aux couleurs chatoyantes, c'est sans compter  sur l'avis de toute la nature: colibri, fleur, petit caillou, hibou, hiver.... tous ont un avis sur la question et à chaque fois un avis plus poétique l'un que l'autre: "dans un champ doré au début de l'été" dit la fleur, "sous les étoiles" chuchote la lune, "dans un sourire" souffle le vent, "ils naissent dans ton coeur" selon le vieux sage.... Mais à la fin c'est bien sûr la nuit qui aura le dernier mot: elle enveloppe le jeune enfant dans ses bras et l'emporte alors...dans ses rêves!