samedi 26 janvier 2013

Une fille qui danse de Julian Barnes

Une fille qui danse de Julian Barnes, éditions Mercure de France, 19 euros.

Roman en trois parties dont nous ne connaissons que la première et la dernière. Tout comme l'auteur nous nous interrogeons sur la deuxième qui est volontairement le coeur de cette dernière (vous suivez?).
Il a aimé une jeune femme lorsqu'il était étudiant qui l'a quitté pour un autre. On le retrouve quand il en a 60 et apprend que cet "autre" s'est suicidé peu après, alors qu'il avait eu ce que lui n'avait pu conserver. Que s'est-il passé durant ce laps de temps, cette éternité?
Cela pourrait ressembler à une pelote de laine que l'on déroule mais c'est bien plus qu'une énigme, beaucoup plus et l'essentiel n'est pas là. Ce sont les erreurs, les tropismes que finalement l'auteur répète en revoyant cette femme. L'écriture est plus que brillante, et l'on tient sans doute l'un des très très grand roman de cette année, très difficile à décrire. Ce n'est pas l'histoire qui compte mais les doutes du personnage et cette façon de dire qu'il ne comprendra jamais au bon moment.
Un des plus grands romans de J. Barnes. Court, d'une apparente facilité et pourtant virtuose.

Monsieur Roudoudou

Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia COUTO

http://lapage.unblog.fr/files/2013/01/mia-couto037.jpg 
Poisons de Dieu, remèdes du Diable de Mia COUTO aux éditions Métailié, 17 euros.

La simplicité des choses n’est, comme toujours, qu’apparente, surtout, et avant tout, dans les rapports humains. Voilà pourquoi le titre du dernier livre de Mia Couto supporte un énoncé a priori contradictoire et que le roman effeuille et met à nu des sentiments pourtant bien dissimulés.
C’est, en bonne et due forme, un docteur qui, dans une petite ville mozambicaine, rend une visite journalière à son patient préféré. Ensemble, toute frontière, toute distance, semble avoir disparue. Le malade reste calfeutré chez lui et observe le monde depuis sa fenêtre. Il a vieilli avec une femme plus jeune qui est devenue sa gouvernante. Il souffre d’un mal étrange, proche de la Saudade, la mélancolie portugaise.
Le docteur, lui, est de Lisbonne, une ville connue du patient qui vogua de nombreuses années sur un navire de croisière dont il était le mécanicien. Depuis quelques années, le docteur officie sur ce bout de terre ayant appartenu au Portugal avec la suspicion qui sied à la couleur de peau de l’ancien colonisateur.
Les rapports entre le docteur, le malade et sa femme paraissent immuables mais les secrets les plus enfouis ne demandent qu’à être révélés car la maladie ne donne plus le choix et les remèdes ne peuvent contenir plus longtemps les poisons de l’âme. Au fil des visites, chacun soulève un pan de son histoire, jouant ou se jouant de l’autre avec des conciliabules, des confidences et des révélations chaque fois un peu plus suspectes.
Ainsi le docteur lui-même cache son intérêt à se rendre chez le couple qui, en retour, déroule un aspect désastreux de leur vie.
Le passé de chacun tient dans un mille-feuille où s’est nichées des amours inassouvies.
Toute la réussite du roman de Mia Couto ne peut être résumée à cette présentation. Il manque la poésie et l’humour pittoresque de Mia Couto qui, derrière les propos parfois terribles de ses personnages, veille avec douceur, sourire et sensualité. Atteindre cela tient du grand art.
« A dix ans, on nous dit tous qu’on est intelligent mais qu’on manque d’idées personnelles. A vingt ans, ils disent qu’on est très intelligent mais qu’on la ramène pas avec des idées. A trente ans, on pense que plus personne n’a d’idées. A quarante ans, on trouve que les idées des autres nous appartiennent toutes. A cinquante ans, on pense avec suffisamment de sagesse pour ne plus avoir d’idées. A soixante ans, on a encore des idées mais on oublie ce qu’on était en train de penser. A soixante-dix ans, le seul fait de penser nous fait dormir. A quatre-vingt ans, on ne pense que quand on dort. »

samedi 19 janvier 2013

Supermarché, site Internet ou librairie ?

Loin de nous de vouloir entrer dans une polémique mais cette semaine nous avons reçu un courrier de deux libraires qui nous semble important de faire connaître tant tout cela est vrai. Ce qui nous interesse ici, ce n'est pas tellement le débat pour ou contre Amazon mais nous voulons seulement attirer l'attention de tous nos clients en rappelant ainsi que si chacun est, heureusement, libre d'acheter ses livres où il le veut, il faut avoir clairement à l'esprit que le prix du livre étant le même partout, le lieu d'achat (supermarché, site Internet, librairie) que vous choisissez est le reflet de la culture que vous souhaitez et défendez.                         

                       AMAZON : c'est la zone !
                  Par Frédéric et Jean-Pierre Delbert, librairie Martin-Delbert à Agen


Depuis quelque temps, nous sommes soumis à une communication très forte de l'enseigne AMAZON, largement relayée par les médias. AMAZON serait l'enseigne préférée des français, créerait des milliers d'emplois quand elle implante une plateforme logistique, récupérant ainsi une image positive, les élus locaux déroulent le tapis rouge etc...
Il est temps de dénoncer ce qui est une véritable imposture et de dire à nos consommateurs de livres : n'achetez surtout pas chez AMAZON mais chez votre libraire ! Et vous y gagnerez énormément ! En effet :

1) Le prix :
Les livres chez AMAZON sont au même prix que chez votre libraire*

2) Le nombre de référence :
Votre libraire a accès au même nombre de références et à la même base de données de l'édition française que celle utilisée par AMAZON.

3) Les délais :
Votre librairie vous procure votre livre immédiatement s'il a en stock et sous quelques jours s'il doit le commander.

4) L'écologie :
Votre libraire reçoit les livres par palette de 400kg soit environ 1000 ouvrages tous formats confondus ce qui est bien plus écologique que d'envoyer 1000 colis par pack poste.

5) La suppression d'emplois :
Toute création d'emploi chez AMAZON supprime mécaniquement 1,5 à 2 emplois chez votre libraire, mais ceux-là on n'en parle pas : c'est la petite librairie qui ferme, discrètement et sans tapage, ou qui licencie progressivement... et il est politiquement plus porteur pour un élu ou un ministre d'annoncer la création de 1000 emplois d'un coup que la suppression de 2000 libraires.

6) La délocalisation économique et l'aberration des subventions des collectivités locales.
Toute commande effectuée sur le site de ce cybermarchand diminue indirectement la recette fiscale locale, donc augmente vos impôts locaux et diminue également la recette fiscale du pays puisque cette société, dont le siège européen est basée au Luxembourg, paie une part infime de l'impôt sur les bénéfices en France grâce à une optimisation fiscale extêmement sophistiquée.
Et pourtant, malgré ce comportement peu éthique, l'implantation du dernier site AMAZON à Chalon-sur-Saône, en France, est subventionnée par nos élus locaux à des niveaux stupéfiants : 4500 euros par emploi créé** (ou plus exactement pour la suppression de 2 emplois !) et cela avec vos impôts. Cherchez l'erreur...

7) La survie de votre centre-ville :
Une ville ne survit que grâce à son animation commerciale et culturelle. En tant que client, vous en êtes un des acteurs essentiels : Prenez-en conscience ! Votre centre-ville, c'est le forum des Romains ou l'agora des Grecs : c'est un creuset indispensable au vrai lien social. Votre libraire est au centre-ville et en est un des animateurs vitaux, avec des libraires en chair et en os pour vous conseiller et vous accueillir. C'est autre chose qu'un entrepôt logistique avec lequel vous dialoguez par écran interposé.

8) Êtes-vous vraiment un hyper-capitaliste ?
AMAZON, c'est 48 milliards de $ de chiffre d'affaires. Avez-vous vraiment envie d'apporter votre obole à ce géant qui essaie par tous les moyens de vous lier à son business (tablette numérique non ouverte, déférencement des éditeurs qui n'accepteraient pas leurs conditions etc...) et qui, de plus, se comporte en spécialiste de l'évasion fiscale légale et organisée ?

En conclusion, pour trouver un bon livre, n'allez pas en Amazonie, allez chez votre libraire !

* Votre libraire vous consent le maximum de remise autorisée sur le livre, soit 5%, par le biais de sa carte de fidélité.

** (la Tribune 25/06/2012).

Le marathon d'Honolulu d'Hunter S. Thompson


Le Marathon d'Honolulu Le marathon d'Honolulu d'Hunter S. Thompson, éditions Tristram, 7.95 euros

Gloire aux éditions Tristram et à leur collection Souple pour la publication du Marathon d’Honolulu !
L’énergumène pris en photo sur la couverture du livre est HST lui-même dans le courant des années 80. C’est à cette époque, en plein boom de ce qu’on appelait le jogging, qu’il se rendit, en freelance, chroniquer l’atypique marathon d’Honolulu.
Journaliste célébré pour son récit au pays des Hell’s Angels, HST considère cette virée aux îles d’Hawaï comme une occasion rêvée de prendre un mois de vacances, tous frais payés et, en prime, un salaire mirobolant pour la couverture de cette course dont il ne saisit pas la motivation des milliers de concurrents qui n’ont, tout compte fait, aucune chance de l’emporter. En sus, il est prévu qu’il se rende sur une île de l’archipel nommée Kona et prendre du bon temps en pêchant, par exemple.
HST est accueilli à l’aéroport d’Honolulu par un homme proche de la démence qui l’embarque à bord de sa Ferrari GTO garée par pure provocation devant le hall d’arrivée.
Hawaï est, à ce moment-là, dominée par la violence samoane, coréenne voire vietnamienne. HST nous enseigne toujours sur la particularité significative des faits divers locaux en y contribuant parfois lui-même… Ses frasques alcoolisées le rendent assez vite célèbre partout où il se rend.
Boire, se droguer et attendre que le marathon passe sous les fenêtres de son hôtel pour enfin rendre hommage à la dizaine de coureurs ayant le potentiel pour gagner, puis HST s’envole pour Kona avec un ami anglais qu’il a convaincu de le rejoindre depuis Londres.
Ici commence les vrais ennuis. Le lieu n’est absolument pas idyllique, pire, un ouragan s’annonce. L’ami anglais et sa petite famille sont traumatisés par les abats d’eau qui menacent la villa qui leur est prêtée. Les pêcheurs du coin sont plus que maussades en raison de leur saison touristique gâchée. HST en rajoute en organisant une sortie suicidaire en mer. La dépression gagne et HST qui incorpore de nombreux extraits du livre de Richard Hough, Le dernier voyage du capitaine James Cook (découvreur d’Hawaï), picole tant et plus et fume quantité de marijuana puis s’embrouille avec la majorité de la population locale. Tout cela est racontée de la plus réjouissante des façons jusqu’au morceau de bravoure qui clôture le livre mais dont on peut douter de la véracité des faits. Cependant, cet épisode épique propulse HST dans la légende hawaïenne par la diabolique narration de sa pêche miraculeuse d’un marlin.
Quoi, vous ignorez ce que sont les marlins ?
Lisez HST, immédiatement !

samedi 12 janvier 2013

La classe de rétho d'Antoine COMPAGNON

La classe de rétho
d’Antoine COMPAGNON aux éditions Gallimard 19.90 euros.



Le récit autobiographique, sous la plume d’Antoine Compagnon, procède par un aveu final qui est à l’origine de l’exercice et qu’il situe à l’aéroport de New-york. Effectivement, c’est un nuage volcanique islandais, qui a déclenché les souvenirs de l’auteur de sa première année en classe de rétho.
Dès lors, l’élève Compagnon dessine sobrement le portrait d’une France ébranlée par la perte de l’Algérie, ceci vécu de l’intérieur, dans une école provinciale et militaire vouée à la désignation de ses officiers.
Très vite, le nouvel arrivant rejoint, après les cours, le clan des anciens, dirigé par le grand Crep’s qui occupe une fonction de contre-pouvoir. Celui-ci déniaise Compagnon par son grand art du ridicule à l’encontre des surveillants.
Ces mémoires affectives et sensibles contiennent de nombreux mots et expressions « retrouvés » et rendent compte d’une violence particulière de la jeunesse des années soixante. Mais Antoine Compagnon effectue aussi de nombreux allers-retours dans le temps et offre une réflexion sur la destinée de ses camarades de chambrée. Le grand Crep’s notamment incarne avec surprise une grande difficulté d’existence et Damiron, l’autre figure prépondérante de cette école, laisse entrevoir un sombre avenir que nul ne pouvait pour autant prédire.
L’importance de cette classe de rétho dans la vie d’Antoine Compagnon, bien qu’il ne soit pas devenu militaire*, resurgit à sa façon déterminée de plier ses vêtements aujourd’hui encore, une séquelle parmi d’autres mais significative.

*Antoine Compagnon est un professeur et un historien de la littérature française né le 20 juillet 1950 à Bruxelles en Belgique. Fils du général Jean Compagnon (c.r.) et de Jacqueline Terlinden, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur des Ponts et Chaussées, docteur d’État ès lettres, Antoine Compagnon est un critique littéraire à la fois héritier et critique du structuralisme, dont le chef de file fut Roland Barthes. Professeur de littérature française à l’Université de Paris-Sorbonne (Paris IV) et à l’Université Columbia (New York), il fait partie depuis mars 2006 du Haut Conseil de l’éducation et a été élu en avril 2006 professeur au Collège de France. À partir de 2009, il fait partie du jury du prix de la BnF.
(source Wikipédia).

Sévère de Régis Jauffret par Olivier de Marc


Couverture 

Sévère de Régis Jauffret, Points seuil 6,30€

Régis Jauffret, un des plus brillants auteurs français actuel a pour habitude de s’inspirer de faits divers réels. Dans son dernier livre Claustria, également réédité en poche , il partait de l’affaire Fritzl, cas d’inceste inimaginable et signait un roman énorme. L’an dernier, La Plage aux Ecrivains s’était d’ailleurs distinguée en lui attribuant le gd prix de la ville d’Arcachon et, par la même, en récompensant un véritable écrivain…

Sévère s’inspire librement de l’affaire Stern. Edouard Stern ce banquier milliardaire abattu de quatre balles en 2005 lors d’une séance sado maso, retrouvé vêtu d’une combinaison en latex. Cécile Brossard, sa maitresse pendant quatre ans, a avoué le crime. La narratrice du livre c’est elle. Ce fait divers, véritable socle du roman, est le moyen pour Régis Jauffret de déployer une réflexion universelle sur le rapport de pouvoir entre les relations humaines, sur le sexe, l’argent et les sentiments…Et comme toujours, la littérature nous en dit plus que tous les reportages : « La fiction éclaire comme une torche » déclare Régis Jauffret dans le superbe préambule de son roman.

La confession détachée de la narratrice renforce le côté glacial et inoubliable de ce livre.

Cet ouvrage très fort et intemporel est porté par un style limpide voir clinique. Ecriture juste, sans effets ni excès. Pours vous donner une idée, voici les premières lignes du livre : « Je l’ai rencontré un soir de printemps. Je suis devenu sa maîtresse. Je lui ai offert la combinaison en latex qu’il portait le jour de sa mort. Je lui ai servi de secrétaire sexuelle. Il m’a initiée au maniement des armes. Il m’a fait cadeau d’un révolver. Je lui ai extorqué un million de dollars. Il me l’a repris. Je l’ai abattu d’une balle entre les deux yeux. Il est tombé de la chaise où je l’avais attaché. Il respirait encore. Je l’ai achevé. Je suis allé prendre une douche. J’ai ramassé les douilles. Je les ai mises dans mon sac avec le revolver. J’ai claqué la porte de l’appartement ». A vous de découvrir la suite de ce superbe livre noir.

Pour être complet, signalons la sortie de l’adaptation cinématographique de Sévère intitulée « Une histoire d’amour » avec Benoît Poelvoorde et Laeticia Casta.

Olivier de Marc

samedi 5 janvier 2013

Le voleur de cadavres de Patricia MELO

Couverture 
Le voleur de cadavres de Patricia Melo, Actes Sud, 19.80 euros

L’invention majeure de Patricia Melo dans Le voleur de cadavres tient à l’expression « à vous » que l’on échange, entre autre, lors des conversations aériennes du cockpit à la tour de contrôle. Cet « à vous » est ici transposé dans le cerveau d’un homme s’entretenant – pour faire simple – avec ses propres pensées.
Ainsi, lorsqu’il assiste, en tant que témoin unique, à l’atterrissage catastrophique d’un petit avion en forêt, « à vous » apparaît avec insistance sans pour autant obtenir de réponses.
L’homme doit composer seul avec la situation, « à vous » n’étant qu’un constat de bonne santé mentale certifiant la maîtrise des évènements. Or l’avion transportait un richissime héritier dont il faudrait signaler la disparition puisqu’il n’a pas survécu à l’accident. Tout au contraire, notre homme s’empare du kilo de cocaïne découvert dans un sac et s’en retourne chez lui.
Une sorte de parodie de  telenovelas*  se met alors en route accompagnée de décisions plus ou moins crédibles de la part de notre homme désormais impliqué dans le trafic de drogue. Patricia Melo joue avec son personnage et, donc, avec le lecteur. Le pari d’installer le protagoniste à tous les postes d’observation est relevé. En effet, il s’incruste dans la famille du richissime héritier, il côtoie la police via sa petite amie et il se met en danger auprès des trafiquants de drogue. Et c’est avec jubilation que l’on écoute les motivations psychologiques des uns et des autres, ce qui est aussi le propre des telenovelas* que Patricia Melo pervertit au point d’en détourner la morale en accédant à un humour souvent noir.

*Dans ces feuilletons on retrouve souvent des personnages à la recherche d’un membre de leur famille (la plupart du temps un père ou un enfant), des histoires d’amour avec des domestiques et des problèmes d’escroquerie sur un héritage. Nombre de telenovelas comportent des personnages catholiques très pieux, des religieuses ou un prêtre. Quasiment toutes les telenovelas se terminent par un mariage. (source wikipédia).