samedi 24 mars 2012

Le Condottiere de Georges PEREC

Le Condottiere de Georges PEREC aux éditions du Seuil, 17 euros.


Remontons le temps, plutôt deux fois qu'une. Nous sommes en 1960, le comité de lecture des éditions Gallimard refuse le manuscrit d'un auteur débutant nommé Georges Perec. La réponse du directeur littéraire de l'époque Georges Lambrichs fuse :  On a trouvé le sujet intéressant et intelligemment traité, mais il semble que trop de maladresses et de bavardages aient braqué plusieurs lecteurs. Et même quelques jeux de mots , par exemple : Un bon Titien vaut mieux que deux Ribera".
Raymond Queneau ne semble point avoir pu peser pour la parution de l'ouvrage et l'Oulipo est un nouveau né ! Ce roman donc qui devait être le premier de Georges Perec n'est jamais paru. Il aurait pu s'appeler Gaspard ou Gaspard pas mort puis le Condottiere.

Pour la forme, récapitulons ce qui advint par la suite. Georges Perec se remit bien évidemment à écrire et dès 1965 il obtint avec Les choses le prix Renaudot qui est officiellement son premier roman. Suivirent le sublime Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? (1966) puis, entre autres, Un homme qui dort (1967), La disparition (1969), Espèce d'espace (1974), W ou le souvenir d'enfance (1975), Je me souviens (1978) et, pour faire court, La vie mode d'emploi (1978) Prix médicis. Quatre ans après, pour faire plus court encore, Perec meurt. L'oeuvre est là. Manquait à l'appel ce Condottiere jamais publié et qui, pour fêter le quarantième anniversaire de la mort de l'auteur, apparaît enfin.

Le Condottiere, c'est, comme l'ont dit les chroniques des journaux et surtout Claude Burgelin qui s'est attelé à la préface du roman, un retour sur le devenir d'un des plus importants écrivains de la deuxième partie du XXème siècle. De la maladresse et du bavardage des lecteurs de 1960, nous retiendrons une volonté non exhaustive mais sélective de la nomination. Perec nommait les choses, il  en cherchait le mode d'emploi, le souvenir avant leur disparition. A ce sujet, jamais Perec ne désarma.

Le Condottiere nous envoie à son tour dans le passé: le protagoniste, un certain Gaspard, est faussaire de génie et le moindre maître en peinture n'a de secret pour lui. Ainsi Gaspard égrène  le Benezit, fameux dictionnaire des peintres, et rend depuis douze ans des copies parfaites d'un Van Gogh par-ci, d'un Manet par-là, d'un Van Eyck, d'un Vinci etc... Il a le génie de trouver la manière et l'esprit dans lesquels ont travaillé ces maîtres, toutes époques confondues. Il vit isolé du monde par la grâce d'un protecteur nommé Ribera (Un Titien vaut mieux...) qui lui passe commande des faux-chefs d'oeuvre qu'il éxécute sans frémir jusqu'au jour où une crise existentielle s'abat sur lui et notre Gaspard bute sur Le Condottiere d'Antonello de Messine. Pourquoi ce tableau-là et quelles en seront les conséquences ?

Georges Perec atteint alors les limites de la condition d'artiste voire de la création. Le tourment de Gaspard est un exercice de style qui provoque un vide abyssal que Gaspard croit pouvoir effacer par le crime. C'est cette minutieuse reconstitution psychologique d'un meurtrier qui est travaillée de bout en bout dans ce livre, un affrontement intérieur sous le couvert de la confession.

Claude Burgelin rappelle que Perec voulait qu'on lise Le Condottiere comme l'histoire d'une prise de conscience, de la fin de la névrose solitaire, des conduites magiques et des courts-circuits par le faux, un éloge de la patience et du travail,  de la recherche de sa propre vérité, de la perpétuelle reconquête et d'une forme secrète de courage. Plus de cinquante ans plus tard, voilà qui est chose faite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire